Ce numéro étant déjà à l’imprimerie, nous avons appris, avec une grande douleur et un regret encore plus grand, que notre ami depuis presque toujours André Schimmerling s’est éteint, à l’âge de 97 ans – nous l’avions cru immortel.
Il a été pour nous un grand exemple et c’est grâce à lui que nous avons eu le courage d’accepter son héritage. A Rome, en octobre 2006, il a lui même annoncé que « ….cette nouvelle rédaction s’occupe toujours de discuter, à travers cette même forme carrée dépliante, de l’amélioration et de la tran sfor mation de l’espace urbain….. Trois pôles géographiques – Finlande, France et Italie contri-
buent à cette nouvelle impulsion du Carré Bleu pour mieux traiter de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement près de 50 ans après la création de la revue ».
Profondément cosmopolite, humaniste et de culture juive, il nous a tous marqués par ses idéaux et ses actions désintéressées.
Il avait la capacité et l’énergie, l’intelligence, la force, la passion et la volonté de concevoir et réaliser un numéro tout seul : ce qui explique sa présence extraordinaire au sein de la revue qu’il a dirigé depuis son commencement jusqu’à l’an 2006 : une revue qui prétend avoir un regard critique sur ce qui se fait, sur ce qui se pense, sur ce qui se propose Serons-nous capables de poursuivre son chemin sur les thèmes nouveaux de notre contemporanéité?
C’est à Philippe Fouquey – l’un des Amis qui a longtemps accompagné André dans son travail – que nous avons demandé d’écrire des mots qui puissent rappeler à nous tous l’esprit et l’enthousiasme qu’il nous a transmis avec le Carré Bleu.
André a été pour moi l’exacte personne, découverte par hasard au Centre de Recherches d’Urbanisme, à Paris, où il était chercheur et où j’étais stagiaire, que, sans le savoir, je recherchais. Mes études étaient à peine terminées, nous étions au début des années 60. Par un autre hasard bienheureux, j’ai également découvert, à la librairie la Hune à Saint Germain des Prés, que ce même André Schimmerling présidait aux destinées d’une revue sur l’architecture et l’aménagement de nos espaces de vie. Et cette revue, humaniste, internationale, constituée d’articles critiques, cette revue atypique en un mot, abordait sans tabou et courageusement tous les aspects des thèmes de réflexion qui m’intéressaient particulièrement, y compris les thèmes sociaux. Tous ces sujets, et combien d’autres, étaient à l’époque ignorés ou évités par l’enseignement officiel de l’école des Beaux-arts et peu traités par celui de l’Institut d’urbanisme. Et ces thèmes – leur choix et leur hiérarchie – étaient cohérents entre eux, parce que regroupés grâce à une véritable philosophie éthique. Bref, j’avais enfin trouvé, de façon inespérée, un homme et une équipe qui éprouvaient la même soif et la même passion que moi pour découvrir, dans notre très vaste domaine, les vraies questions, et espérer approcher de réponses satisfaisantes. Pendant une assez longue période, je me suis contenté d’absorber les nourritures intellectuelles du Carré Bleu, tout en me familiarisant avec André, avec Tyyne son épouse et sa source d’énergie, avec Lucien Hervé, avec Jean-Louis Véret (Montrouge), avec bien d’autres, puis, au hasard de séminaires à la Maison Le Corbusier ou à l’Institut Finlandais, avec nos alter egos, italiens, belges, hollandais, écossais, finlandais, américains, et une foule d’autres membres du Carré Bleu formant un groupe très homogène , qu’André avait l’art de faire sortir de son chapeau, avec son air un peu lunaire et de ne pas y toucher. En vérité, André avait, en plus de son extraordinaire culture, une énergie peu commune et l’art de fédérer les énergies et les personnalités grâce à son humanité et à sa simplicité. Bref, il y a trente cinq ans à peu près, j’ai commencé à participer à la vie de la revue, puis je m’y suis investi tout à fait… Un joli pied de nez à l’enseignement de l’école des Beaux-Arts d’avant 1968. Non pas que l’enseignement d’après 68 soit sans problèmes, mais le Carré Bleu s’en occupe! Qu’André, qui vient de nous quitter, soit tranquille.
Le 12 Novembre 2009,
Paul – Sami Schimmerling à la mémoire de mon père
Ma mère m’avais dit un jour « ton père vivra longtemps » en soulignant que les membres de la famille Schimmerling vivent tous très longtemps. Ma grand-mère que nous appelions Muti a vécu ainsi jusqu à 103 ans.
Aujourd’hui , mon père, connu sous le nom d’André ou de Simi, a rejoint son épouse , ma mère, la poétesse finlandaise Tyyne Saastamoinen, qui est au ciel. Il y a quelques jours, il nous a dit adieu, avec sa main et ses yeux : « Moi, je continue mon chemin, bonne route, et portez vous bien».
Le chemin de mon père a été un long chemin. Je dis à Papa , en reprenant une parole de ma mère: « tu es parti comme un oiseau migrateur. Que le voyage te soit doux, nous ne t’oublierons jamais où que puisse se trouver cet univers qui t’emporte désormais. Nous avons ici des chambres pour nous asseoir et y penser à loisir à toutes les maisons que tu as construites et qui sont belles comme les forêts de Finlande »
Mon père m’a raconté quelques unes de ses migrations. Je vais essayer de partager avec vous quelques récits et souvenirs.
Né en 1912 dans la ville de Temeshvar, (devenu Timisoara depuis que la Roumanie a annexé cette ville hongroise) dans une famille juive hongroise aisée, mon père serait devenu un avocat comme son propre père s’il avait poursuivi dans la voie qui lui a été tracé : Baccalauréat, puis Etude de droit à la Sorbonne. Il s’intéresse très tôt à la découverte des cultures, en fondant un groupe d’amis du lycée « La Douma ». Les membres de la « Douma» étaient amateurs de voyages, de conférences, de débats d’idées. Ils sont restés fidèles et unis toute leur vie. Imi Telkes, dont la famille est avec nous aujourd’hui, en faisait parti.
Je crois que trois événements ont détourné mon père d’une vie tranquille d’avocat en Hongrie : l’enseignement de l’urbaniste écossais Patrick Geddes à Montpellier, la 2ème guerre mondiale, et sa rencontre avec ma mère Tyyne, que nous appelions aussi Hansu.
Patrick Geddes était un précurseur dans de nombreux domaines , l’environnement, l’urbanisme, la pédagogie. S’intéressant aussi bien à la botanique, qu’à l’art sous toutes ses formes, il a voulu faire converger plusieurs disciplines qui étaient morcelées pour concevoir les villes de demain. Mon père était son interprète puis son disciple au collège des Ecossais qu’il a fondé à Montpellier.
Il disait que « tous les matins ; nous venions jardiner, car le travail manuel faisait parti de l’enseignement. Mon père m’a montré les jardins du collège des écossais et l’idéal de Patrick Geddes : enseigner les sciences , l’urbanisme, et l’art dans un jardin. « C’est en vivant que nous apprenons »
Mon père a abandonné le droit pour étudier l’architecture à Paris jusqu’à ce que la guerre éclate. Il m’a raconté le nombre de fois où il a échappé à la mort et son engagement dans la résistance française. Il s’est évadé du camps d’internement d’Oradour, il a échappé aux rafles à Montpellier, dans le plateau du Vercors et ailleurs….. Il a toujours été sauvé par son étoile et aussi par des amis français qui l’on protégé.
Après la guerre, il termine ses études d‘architecte, et prend la nationalité française, en étant naturalisé comme beaucoup de résistants étrangers. Sa famille, sa mère Muti, sa sœur Trude, son beau frère Pali émigrent en Israel.
En 1951, il rencontre ma mère Tyyne Saastamoinen . Ils vivront ensemble en Finlande, en Suède, à Paris, à Montpellier. Ils me donneront naissance, et fonderont la revue d’architecture « Le Carré Bleu »
Cette union m’a marqué par son caractère cosmopolite, européen avant l’heure. Mon père parlait couramment sept langues : français, hongrois, roumain, allemand, suédois, anglais et le finlandais. Je me souviens des débats passionnés qui animaient les rédacteurs du Carré Bleu.
A Helsinki ; Stockholm, Rome, Londres, Amsterdam, Copenhague dans toutes ces villes, j’ai rencontré des architectes qui avait travaillé avec André. Agnès Jobart, parle d’une réunion autour d’un concours “Urbanité et Mobilité”, crée par lui, réunion au cours de laquelle il avait assuré la traduction simultanée (vers le français) de 4 langues.
J’ai été frappé par la ville idéale que mon père a recherché toute sa vie : moderne et belle, comme cette couverture du numéro 2 du Carré bleu , montrant l’architecture au carrefour de la musique et de l’harmonie .
Je laisserais les amis du Carré Bleu témoigner sur l’esprit qu’il a insufflé. Et je donne la parole à tous ceux qui l ont connu.
Paul Schimmerling